L’aurore reconstruit le monde selon son antique modèle. Les pâles miroirs reprennent leur vie mimée. Les flambeaux éteints sont demeurés à leur place de la veille avec auprès d’eux le livre à moitié coupé que nous étudions, la fleur que nous portions au bal, la lettre que nous n’avons pas osé lire ou que nous relisons trop souvent. Rien n’a changé, semble-t-il. Délivrée des ombres irréelles de la nuit, revoici la vie que nous connaissons bien. Il faut la reprendre, au point où nous l’avions laissée, et le sentiment terrible qu’il faut appliquer de nouveau notre énergie aux mêmes habitudes stéréotypées et lassantes. Et cela nous envahit. Ou peut-être éprouvons nous un désir fou d’ouvrir nos paupières sur un monde que notre plaisir dans l’ombre aurait réinventé, un monde parer de couleurs et de formes nouvelles, peuplé d’êtres et d’objets différents, un monde dont les secrets auraient changés, où le passé n’aurait presque plus de place, ou du moins n’imposerait ni obligation, ni regret, car même les souvenirs joyeux ont leur amertume. On ne se souvient pas d’un seul plaisir sans souffrir un seul instant.